Au nom du père !

Comme je vous le disais l’autre jour, ma vieille maman est venue passer le week-end du 15 août à la maison. Ce sont toujours des moments de douce tranquillité où nous pouvons deviser paisiblement de chose et d’autre. Rien ne nous presse, rien ne nous bouscule…
On évoque bien entendu la mémoire de mon père un homme juste et bon, passionné d’histoire à la curiosité insatiable. Il avait cette manière inimitable et bien à lui d’aller vers les autres et d’engager la conversation avec d’illustres inconnus. Je l’ai rarement vu en colère et il faisait preuve de beaucoup de tolérance et dès quatre ans il courrait déjà derrière les canons, buvant le café à même les bouteillons avec les poilus en partance pour le front.
Pourtant on lui avait volé sa jeunesse, lui qui a payé le prix fort pour avoir résisté « aux boches » et il a du attendre un froid soir de février 1945 pour voir apparaître les uniformes kakis des soldats américains qui ont ouverts les portes du camp.
Il n’a jamais demandé d’honneur ni de reconnaissance acceptant du bout de lèvres la remise d’une décoration à l’unique condition que se soit son fils, alors adjudant de gendarmerie, qui lui épingle sur la poitrine la croix du combattant et la croix de déporté résistant à titre individuel. Cérémonie éprouvante ou le père et le fils ont du maîtriser l’émotion qui les envahissait, l’un de voir son rejeton commander sur le front des troupes, l’autre de voir l’ancien, debout raide, s’appuyant sur sa canne et lever la main à son béret en une esquisse de salut militaire.
Il a bercé mon enfance de ses récits de soldats héroïques, d’épopées militaires et de combats. Il me racontait la vie en caserne avec une foule de détails citant au passage le nom d’un capitaine, le surnom péjoratif d’un caporal acariâtre où encore, le regard rêveur, le prénom de cette jolie infirmière qui l’avait soigné lors d’une blessure par balle à la cuisse.
Je perçois seulement maintenant son regret de n’avoir pas fait une carrière militaire et je ressens comme un ultime hommage sa fierté d’avoir vu l’un de ses fils revêtir d’abords l’uniforme d’une unité d’élite et ensuite celle d’un corps prestigieux.
Férue d’histoire locale ancienne, il connaissait un nombre invraisemblable d’anecdotes sur les gens du village élevant, par sa seule faconde au rang de saga épique les démêlés amoureux de la femme du charron et du fils du notaire ou encore évoquant, le visage grave, la réclusion dans un couvent de la belle Marinette veuve avant même d’avoir été mariée.
C’était pourtant un homme simple mais il a su me faire comprendre qu’un père c’est un être qui ne doute jamais de ses enfants, qui ne demande rien et qui est prêt à tout donner. C’est un cœur large qui oublie et qui pardonne…